La peinture agissante de Jean-Marc Brunet
L’Espace Saint-Pierre-des-Minimes, à Compiègne, accueille actuellement une exposition monographique de Jean-Marc Brunet. Jusqu’au 21 novembre, Au présent propose de découvrir une très belle sélection de toiles et sculptures récentes. De nombreux livres d’artiste témoignent également de la relation que l’œuvre entretient depuis toujours avec la poésie. Le samedi 16 novembre, à 19 heures, aura lieu une lecture poétique de Dominique Sampiero suivie d’une séance de dédicace. En attendant ce rendez-vous rare, ArtsHebdoMédias vous invite à une visite en images.
Écrire, tout écrire. Jouer avec les mots, les faire sauter sur ses genoux, les respirer et puis les écouter. Quel est donc cet impossible exercice qui les agence en rangées si dociles qu’ils puissent être saisis par tous les regards ? Greffier ! Notez que le protagoniste s’est arrêté sur le parvis, sis passage des Minimes, à Compiègne, et qu’il a pris une photographie du tympan sculpté de l’église, en voie d’effacement. Sur le seuil, un arbre. L’œil en traverse les branches, le corps en évite le tronc. Le point de vue s’ouvre sur la nef. Peintures et sculptures se répondent. Sous verre, les poèmes. Sensation des couleurs, énergie du trait, justesse des signes. La peinture déborde. Elle devient terre, horizon, émotion.
Si longtemps consacré, le lieu transcende, révèle la part ineffable de la peinture tandis que les vers s’immiscent en nous comme de l’encens. Deux randonneurs s’avancent. Immobilisés face à huit toiles, ils ressemblent à des pèlerins devant un retable. Ce que nous voyons est toujours la conséquence de ce que nous avons vu. Huit mystères sur fond bleu. Silhouettes éthérées d’arbres dévoilant leur essence. Énergies transformées à force de nature observée.
« Rapprochez-vous d’elle et cherchez à dire ce que vous voyez, comme si vous étiez le premier homme », murmure Rilke à l’oreille du peintre. Garder son regard à l’abri de la lassitude, sa main de l’habitude. Chaque jour comme le premier. Se laisser surprendre, innocent, curieux, désireux.
Au présent est le titre de l’exposition. C’est toujours ainsi que se donne à voir la peinture. Que nos yeux seulement clignent ou qu’ils soient infidèles, à chaque fois qu’ils y reviennent, elle est là. Identique mais différente. La peinture change avec nous et nous avec elle. Les tableaux portent des noms : Végétation sans le vent et le ciel bleu, Signes de terre, Des racines en attente du soleil… A tant fréquenter les poètes, Jean-Marc Brunet connaît la puissance fragile des mots en équilibre. La poésie est l’autre langage de l’exposition, plus abstrait, plus intellectuel. Celui de la peinture est plus enraciné, plus proche. Les toiles ont quitté le céleste, dans lequel je les ai si longtemps tenues, pour un bouleversant terrestre lumineux.
L’œil est témoin d’un sensationnel dépaysement des couleurs. Elles traversent le temps, montent du plus profond de la toile sans pour autant toujours s’y montrer franchement. Tel le magma sous nos pieds, telluriques et agissantes. La nature est ainsi. Partout présente et ingénieuse, force silencieuse qui tient l’atmosphère autour de la Terre et fait de notre caillou un émerveillement pour l’entendement. Il existe bien des explications scientifiques à ces phénomènes, mais sommes-nous toujours au fait de notre improbabilité et par-là même du miracle de notre existence ? Jean-Marc Brunet peint cela mais pas seulement. C’est certain. Car personne ne peut épuiser une poésie, encore moins une peinture. Pas même son auteur.
Marie-laure Desjardins, article ArtsHebdoMédias, Novembre 2024